Une partie de pêche nous attend !
La place est minutieusement choisie : des reliefs de poissons, des coquilles de moules, des bobines de fil attestent que le lieu est fréquenté par les autochtones. La marée est montante, la mer s'agite raisonnablement, des nappes d'écume se
déplacent lentement, il est temps d'essayer.
Un peu de réflexion est nécessaire : si nous pêchons le sar, il vit dans les rochers colonisés par les coquillages dont il est friand, si le bar nous intéresse, c'est un chasseur, il aime surprendre ses proies dans la vague qui s'écrase sur la plage. Certains poissons vivent sur fond de sable d'autres entre deux eaux, la préparation ne laisse donc rien au hasard !
Dans un grand geste puissant le fil se déroule et...flop ! pénètre dans l'eau grise.
Comment la bête trouve t-elle cet appât soigneusement sélectionné ?
A-t-elle un bon odorat ? Une vue remarquable ?
Le bout de la ligne s'incline brusquement, un invité s'est présenté !
Fausse alerte, quelqu'un a goûté, puis déçu ou prudent est reparti !
Nouvelle tentative, la patience est une qualité nécessaire et indispensable au pêcheur.
De nombreuses fois il faudra recommencer, ne jamais se désespérer !
Le moment tant espéré arrive quand on ne l'attend plus. La canne s'abaisse, le fil se déroule...
- - ferrer l'animal pour assurer la prise
- - serrer le frein du moulinet, et remonter lentement...
La bête se défend, elle essaie de se diriger vers les rochers, il faut maintenir la tension, l'empêcher de se faufiler entre les cailloux, la laisser repartir vers le large, la fatiguer et enfin la soulever hors de l'eau, tenter de l'amener à nos pieds !
Il arrive qu'elle se décroche au dernier moment mais cette fois la chance nous sourit, une courbine de deux kilos atterrit sur le balcon !
Ses reflets bronze brillent dans la lumière solaire, profitons-en, dans peu de temps elle aura perdu ses belles couleurs.
Un sourire de satisfaction se dessine sur nos lèvres, notre première courbine !
- - Elle est belle et grosse!
- - Comment allons-nous la cuisiner? Au four? Au grill?
- -
- - Elle va avoir des belles pierres!
La courbine, poisson mythique du sud peut atteindre cinquante kilos, elle possède derrière ses ouies, deux pierres qui setravaillent en joaillerie !
Les femmes de pêcheur sont fières d'arborer le pendentif qui prouve la valeur de la prise !
D'autres lancers suivront, certains couronnés de succès, mais il est temps d'arrêter, nous sommes certes des prédateurs mais pas des exterminateurs !
Ne jamais prendre plus que ce que nous pouvons manger ou offrir, telle est notre règle.
La perspective d'un bon repas, les nécessités de sa préparation, nous conduisent au village.
Un village sur la route.
Le Maroc est aujourd'hui la seule voie pour descendre en Afrique noire via la Mauritanie. Tout le long, des villes étapes se sont développées.
Afkenir, est l'une d'elles qui s'étire le long de la route. Les magasins s'y côtoient, légumes, épiceries, boucheries, réparateurs de pneus et mécaniciens.
Dès l'entrée, une devanture attire l'attention : Café France
Hassan y officie. Jadis, il est allé France. Après avoir passé plusieurs années à travailler à la chaîne dans une grande usine de la région parisienne, il est rentré au pays muni d'un pécule appréciable.
Il a crée ce café, a fondé une famille et maintenant, « tranquille » au soleil, il accueille les clients. Comme tous, il aime parler de son expérience et nommer les lieux connus.
Reconverti en chef cuisinier, il explique les secrets de ses fritures : la force du gaz !
- - A la maison, la femme, elle ne peut pas faire comme ça, le feu il n'est pas assez fort, mais ici 200° peut-être plus, tu vois pour le poisson, c'est meilleur!
- - Combien ça coûte en France, un plat comme ça?
Dans l'assiette du client, bar, daurade et sar, accompagnés des salades traditionnelles, un repas de spécialités peu communes donc chères !
- - Ici, il va payer douze euros!
Il est fier d'annoncer la bonne affaire.
- - Tu as beaucoup de clients?
- - Oui, ça va, ils prennent un thé, je parle avec eux et la prochaine fois ils se souviennent: Café France!
Une carriole tirée par un âne s'arrête, elle est chargée d'un bidon, ici pas d'adduction d'eau, il faut avoir sa propre capacité de stockage et se
faire livrer par le camion ou bien venir puiser dans le réservoir et contre quelques dirhams repartir chargé du liquide vital !
Vital mais dont la salubrité reste à démontrer !
Quel pourcentage de bactéries y subsiste ?
Nous sommes équipés de filtre et de capsules pour l'assainir, mais cette précaution est inexistante pour la plupart des villageois.
Hassan a envisagé l'achat d'une pompe électrique pour améliorer la distribution mais l'électricité fournie par des panneaux solaires ne s'utilise qu'avec parcimonie !
Peut-être vaudrait-il mieux installer le réservoir sur le toit !
Nous sommes devenus « amis », il nous offre un thé à la menthe. Assis à la terrasse, nous pouvons à loisir observer l'animation de la ville.
De nombreux véhicules stationnent, camions assurant le ravitaillement, voitures particulières dont les occupants désirent se restaurer après un long voyage et beaucoup de grands taxis.
Les « grands taxis » sont des véhicules qui assurent le transport de sept personnes, acceptant de voyager ensemble. Les palabres sont longues, les négociations souvent bruyantes pour organiser un périple d'une longue distance. Se mettre d'accord sur le prix, les voyageurs ne faisant pas tous, le trajet complet, les arrêts, nécessaires ou de confort.
Comme dans tout village, les commerces fonctionnent pour la satisfaction des besoins. Boutiques, ouvertes sur la rue, elles se ressemblent et possèdent toutes les mêmes produits.
Le choix est délicat :
- Tu cherches des tomates? Regarde!
- - Bienvenue, tu es française?
Comment résister ? Mais pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ?
Le client étranger est une bonne source de revenu. Le pouvoir d'achat est faible et la vente au détail nous surprend toujours : fromage vendu à la portion, yoghourt à l'unité, les cigarettes elles-mêmes sont débitées une par une !
- - Tu veux une cartouche de cigarettes, c'est vingt cinq paquets!
- - Oui, je prends!
Nul doute que pour lui je serai sa bonne affaire de la journée !
Pour fidéliser la clientèle, on va chez le confrère chercher ce qu'on ne possède pas !
Acheter de la viande demande un abandon de beaucoup de principes et d'habitudes !
Plusieurs échoppes, côte à côte, et des bêtes suspendues qui attendent d'être débitées. Il y a bien le frigidaire mais on choisit à vue ! Il faut donc présenter la marchandise : bas morceaux, premier choix connais pas, prix unique!
Un regard avant de s'avancer, là l'entame est au gigot, plus loin ce sont les côtes !
- - Je voudrais un kilo de mouton s'il vous plait! Inutile de préciser plus, d'un coup de hachoir, un morceau est détaché de la bête, posé sur la balance. L'aiguille n'atteint pas son but, un «bout» est ajouté, mais toujours bon poids!
Ne pas s'attarder sur la propreté de l'étalage, prendre son paquet, de retour au campement, laver, parer, découper et faire cuire suffisamment longtemps pour éviter les problèmes !
Le dépaysement est complet, l'atmosphère aseptisée de nos supermarchés oubliée, les effluves qui émanent de partout ne sont pas des fumets gastronomiques, mais les émanations des choses de la vie. L'odorat est mis à l'épreuve en permanence, notre bonne éducation sanitaire aussi !
De retour au campement une douche s'impose !
(à suivre)