Dans le sud Gironde entre les rives du fleuve et le coteau, s’égrènent les villages de Saint Pierre d’Aurillac, Saint Maixent et Verdelais. C’est le pays de mon enfance, y flotte le souvenir des années école et des années collège. Pays de mes origines, il l’est aussi pour François Mauriac à Malagar. Sur la terrasse du célèbre domaine, accoudé à la balustrade, « devant cet horizon de vignes et de pins » un homme en espadrilles, chapeau de paille, un paquet de livres sous le bras : Monsieur François est de retour dans la maison familiale. Acquise par son arrière grand père, elle sera son port d’attache.
- « Au sortir de Langon, il fallait d'abord traverser la Garonne sur le vieux pont Eiffel aujourd'hui disparu. Une ligne droite, un virage à gauche sous le grand viaduc, et la montée commençait, dure … ».
- pour contempler « le plus beau paysage du monde » : le vignoble amoureusement entretenu, les raisins, grappes dorées, promesses de délices…
- « Les étés d’autrefois brûlent dans les bouteilles d’Yquem et les couchants des années rougissent le Gruaud Larose ».
- Crus de prestige, issus des terres de l’autre côté de la rivière. Le vin de chez nous est plus modeste !
- « J’ai également été « friand des restes du garde-manger », j’ai déjeuné « sur le pouce d’une carcasse, d’une tranche de confit froid, ou encore d’une grappe de raisin et d’une croûte frottée d’ail ».
Voisine d’un « grand écrivain » excite la curiosité ! Qui êtes-vous Mr Mauriac ?
- « Si jamais je survivais, je sais bien que ce ne serais pas moi, puisque même de mon vivant je ne suis pas cet homme que les autres imaginent et que je ne sais pas moi-même qui je suis. »
- Je dialoguerai donc avec vos écrits !
- « Dis moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ; il est vrai, mais je te connaitrai encore mieux si tu me dis ce que tu relis. J’ai lu et relu vos livres : « La lecture, une porte ouverte sur un monde enchanté ». Avec vous j’ai cheminé dans la Lande, sous mes pieds crissaient les aiguilles de pins, je respirais avec plaisir le parfum de résine et de bruyère à Argelouse j’ai cherché Thérèse. Je l’ai aperçue sur les marches du Palais de justice de Bazas mais pourquoi n’avoir raconté que des histoires sombres ?
- Je suis « le grand maître de l’amertume… »
- Moi aussi je pourrai dire : « A vous lire, monsieur, j’ai cru que vous alliez troubler l’harmonieuse image que je garde de votre (notre) région. J’ai failli prendre la Gironde pour un fleuve de feu et la Guyenne pour un nœud de vipères… »
- Cette région, je l’ai quittée…
- A la veille de vos vingt deux ans, « deux semaines avant les vendanges à Malagar…un mois avant le passage des palombes dans le ciel de Saint Symphorien ».
- C’est Bordeaux que je quittais : « si nous fûmes mes amis et moi, si pressés de fuir notre ville c’est que nous l’emportions avec nous. »
- Bordeaux que vous considériez comme un désert culturel, Bordeaux qui vibrait pour le rugby que vous abhorriez !
- Comme tous les sports, je ne me suis jamais passionné pour ces jeux du stade !
- Seules, les corridas vous enthousiasmaient.
- « Nous redoutions, …de manquer le premier taureau »
- Provincial vous étiez, provincial et ambitieux, c’est dans la capitale que vous vouliez être reconnu, mais vous serez toujours François de Gironde. Malagar restera à jamais votre domaine et si aujourd’hui il est propriété de la région Aquitaine, c’est l’auteur du Mystère de Frontenac, du Sagouin, du Désert de l’amour qu’on vient chercher dans ces lieux devenus monument historique.
- Ma mère disait que je n’aurai jamais mon buste dans la préfecture !
- Votre buste, je ne sais mais une route porte votre nom ! Vous qui aimiez tant la solitude !
- «Je suis venu ici me terrer et me taire»
- Elle conduit les promeneurs en longeant la Garonne au gré de ses méandres
- «Pauvre Malagar, il appartient à un rêve dont j'ai déjà commencé à m'éloigner pour jamais.» où « le soir j’observe (j’observais) de ma terrasse la forêt que j’ai quittée et dont l’immense armée noire ferme l’horizon. »
- Votre Querencia ! (l’endroit de l’arène où se réfugie le taureau)
- « La vérité c’est que j’appartiens à l’innombrable espèce de chèvres qui ... ne s’éloignent jamais du piquet qui a fixé une fois pour toutes leur destin. »
- Mais une chèvre qui vit à la campagne à la saison des vacances et qui s’y ennuie dès que les caprices de la météo viennent troubler la douceur des étés girondins où que la guerre vous oblige à y demeurer !
- « L'affreux de la vie à la campagne, c'est d'être livré sans recours à la pluie, à la boue, à la neige, à la nuit. »
Ecrire, écrire, toujours écrire pour oublier.
- « Je me distrais avec un long roman… »
- Et plus tard éditorialiste au Figaro
- « Vous ne sauriez croire comme c’est merveilleux de finir sa vie comme journaliste… »
- Et d’être comparé à une girouette, d’être à contre courant et empli de contradictions, « traitre à votre classe ». Mais il faut que je me taise : vindicatif vous étiez,
- « je vous aurez prévenu » !
Il se fait tard Monsieur Mauriac, avant de clore ce dialogue, je vous fais cette confidence : Quand votre petite fille (Régine Desforges, femme du dessinateur Wiaz), a publié La bicyclette bleue, j’ai aimé retrouver la propriété de Montillac, avec Léa, comme à la suite de vos héroïnes, j’ai arpenté les rangs de vignes, grimpé au calvaire de Verdelais, pris le train à la gare de Langon. Peut-être auriez vous pu faire ce commentaire :
- C’est un livre…dont un chrétien doit penser beaucoup de mal. C’est bien intéressant tout de même. » et dans votre regard s’allumerait une petite flamme qui vous ramènerait à votre jeunesse, cette adolescence qui vous a poursuivi toute la vie.
- « Je me dis que peut-être, quand je ne serais plus là, mes livres continueront, … à faire aimer le cher et doux pays auquel je dois tout… »
- Tous les ans dans Malagar réaménagé, se retrouvent, écrivains, artistes et visiteurs curieux. Tous, dans vos pas, font et refont vos promenades, et se retrouvent sous la charmille pour partager le plaisir de la visite. Cette maison du pays de Garonne « ce n’est que ça ! » (allusion à une remarque d’écrivain célèbre, qui s’est vu traiter d’imbécile et écarté de ses relations.)
« Adischats » Monsieur Mauriac, vous avez dit « Les morts seraient bien embarrassants s’ils revenaient », peut-être seraient-ils déçus : A Malagar l’allée de cyprès qui faisait votre fierté n’est plus, et dans la Lande, le murmure des pins et le chant des cigales sont remplacés par le vrombissement des voitures et bientôt du TGV, mais le chêne est toujours là devant le chalet de Saint Symphorien.
Contrairement à ce que vous avez écrit : « que mon grand père de Langon soit allé prendre femme dans la grande lande, du côté de Villandraut et de Saint Symphorien, j’ai toujours cru que le don littéraire en moi était lié à cette double appartenance. » le talent n’est pas affaire de terroir ! Vous pouvez me lire et me relire, peut-être me connaitrez-vous mais, et je le regrette, lecteur, seule l’œuvre de mon admirable voisin mérite votre attention !
Nic 9 janvier 11