Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 septembre 2017 5 08 /09 /septembre /2017 11:06
Je vous offre aujourd'hui un conte écrit par une personne qui m'était chère:
C’est une conque marine, ourlée de sable blond, nichée au pied des dunes, un des plus beaux joyaux de la côte d’argent, entre Landes gasconnes et le vaste océan. On ne peut hésiter, c’est un miroir de jade. C’est un trésor des dieux. De l’Olympe lointain Poséidon créa pour nous le Bassin d’Arcachon où sans arrêt la mer se donne et se retire. On dit : c’est la marée.
Mais pourquoi ces marées ?
Alanguie de beauté d’air pur ou de couleurs, je m’étendis ce jour sur la grève dorée.    Clignant des yeux, tamisant la lumière, doucement caressée par la brise marine, je vis alors :
Une perle de lune
Pure comme un diamant
Venue du firmament
Reposait sur la dune
Un astre échevelé
Comme un éclair d’argent
Émergeant de l’Orient
Sourit émerveillé
Reflet! Lueur! Extase!
L’un par l’autre attiré
Astre et perle emmêlés
S’évanouirent dans l’espace.
J’ouvris les yeux. Mais quoi donc ? Je rêvais ; « Non, tu ne rêvais pas. C’est bien ainsi que sont nées les marées du Bassin d ‘Arcachon ». Où suis-je ? D’abord une vision et maintenant des voix. Aurai-je perdu la raison ?
  • Oh ! non. Nous sommes près de toi. Regarde.
Tout près de moi, je ne vois qu’un petit œillet des dunes, blotti dans un creux de sable et près de lui, un chardon bleu, autre parure de la dune. Tous deux semblent rêver en regardant les cieux. L’œillet exhale son parfum léger, subtil, comme un impalpable voile odorant. Et le chardon étale son étoile d’un bleu délicatement argenté par la lumière de ce jour d’été.
Comme je le regarde éberluée, j’entends en un souffle : »C’est un secret que tu viens de percer. Si tu veux savoir, ferme les yeux, écoute. »
Alors j’obéis et j’entends ceci.
« Tu vois, chaque jour cette eau, éternelle vagabonde qui, vue par un poète :
« Rampe, bave, avance, recule,
Et revient épandant  une frange d’écume ».
Il y a de ça beaucoup de temps le Bassin était un lac calme, dormant, à peine ridé par les caprices des vents et protégé par les dieux.
Poséidon, lui-même, avait interdit au tapageur Océan de jouer sur ce golfe, site réservé aux oiseaux de son île, aux tamaris des rives, séjour de calme et de douceur. Eole, dieu des vents, lui-même montait la garde, retenant les tempêtes en de  ça de la dune. Tout était codifié. Pas une lame ne franchissait la passe. Entre dieux on peut bien s’entraider. Entre dieux, disons-nous, mais les dieux ont tellement d’ouvrage qu’il leur faut se faire aider, voire se faire remplacer. Le monde est bien trop vaste et, eux, prennent de l’âge.
Les jours, les ans passèrent. Et les dieux vieillissants revinrent vers l’Olympe, laissant l’ouvrage à des plus jeunes, leur léguant leurs pouvoirs. Et l’on vit tout un monde de fées, de génies, de nymphes, de sylphes et j’en passe, peupler les domaines des dieux.
Plus jeunes, plus fougueux, imitant les humains, tour à tour chaleureux, belliqueux, généreux ou jaloux … que sais-je ? Et la lune, là-haut, complice, les aimait, les aider, les excitait peut-être.
Certain jour un génie des mers et des eaux survolant le Bassin, se rapprochant des berges, aperçut une nymphe gracile autant que belle, nymphe au teint rose, avançant parmi les fougères, parmi les pins.
Il revint, la croisa, la salua. Rencontres qui n’étaient point dues au hasard. Bientôt tous deux plus familiers se promenaient dur le sable des dunes, sur le sable des plages, allaient par la forêt près des bruyères roses, on se baignait aussi et bien sur on s’aimait. Bientôt on décida de s’épouser.
Tout le monde magique bon et généreux, qui hante l’air, les eaux, les bois, fut convié à la noce. Et du soleil couchant jusqu’à l’aube nouvelle, ce serait la fête.
Avec la chanson des cimes, le murmure de  la brise, le clapotis de l’eau, le ciel se remplit d’étoiles, tout alla pour le mieux… jusqu’au moment où nos amoureux tendrement enlacés, saluant leurs amis, s’envolèrent vers leur refuge secret.
Les démons, les méchants, les êtres malfaisants non conviés à la noce veillaient. Ce fut terrible. Arrivant fou furieux un gros nuage noir surgit on ne sait d’où, poussé par un vent en folie.  Un éclair enflamma tous les cieux en un fracas épouvantable, foudroyant nos deux amoureux.    
De leurs corps déchiquetés, tombés sur le sol de la grève, un long ruisseau s’écoula sur la terre et sur l’eau. Le Bassin s’empourpra. La terre se colora jusqu’en ses profondeurs intimes. Le désastre et l’horreur envahirent les lieux. Que faire, sinon appeler à l’aide les dieux ? Qui donc pourrait jamais redonner son visage de paix, de calme, de douceur, de beauté et d’amour à ce coin de paradis !
 En remontant le temps, on consulta Eole. Il parut tout contrit. « J’avais promis, dit-il de veiller sur mes vents, mais mon outre est si vieille, et je suis si usé que je ne peux retenir les effrontés ! Pourquoi maintenant ne pas ouvrir la porte de l’Océan ? Ses allers, ses retours, en balayant les eaux, referaient l’onde claire et laveraient la plage. »
Et oui, on ouvrit les passes. Et alors arriva ce que l’on voit encore.
   « La mer glisse, elle ondule, elle lèche le sable
      Insinuante et douce, elle lèche la plage »   (encore le poète)
Et puis elle repart vidant les berges et découvrant de larges étendues.
Ce ballet incessant, nous rendra-t-il un jour cette conque  de nacre aux eaux de saphir et de jade, brodée de sables d’or ? Non car la terre landaise a gardé en son sein le sang des deux amants. Elle en a fait l’alios qui inlassablement envoie vers le Bassin par les Leyres  voisines, son ocre rouge jusqu’à la fin des temps. Et jamais l’Océan n’aura fini sa tâche. Ainsi perdureront les marées du Bassin d’Arcachon.
Avant de clore ce récit, sachez que pour préserver le souvenir des amants malheureux, les Dieux ont déposé deux fleurs dessus la dune aride : un œillet rose, un chardon bleu. Je vous ai dit comme ils sont beaux. Humbles et solidaires, indifférents au temps qui passe, ils content cette histoire à qui veut bien, l’entendre en écoutant les pins, en regardant les flots. La mer, chaque jour, à chacun d’eux laisse sa dédicace et fait deux fois le trajet.
  • Mais n’est ce pas un rêve ?
  • C’est souvent en rêve qu’on voit la vérité !
« Virgile abandonnait les fêtes de Padoue
Pour s’en aller rêver aux marais de Mantoue »   Delille
Et faire naître en ses poèmes Rome.
Ici, je vous le dis, c’est signé
Là sur le sable humide,
Lisez : marée haute – marée basse
Vous voyez bien que c’est vrai !
        Simone Pomirol  1999
Partager cet article
Repost0

commentaires