Rachid est fils de nomade. Depuis toujours sa famille vit dans le grand désert. Il y a bien longtemps ses ancêtres
transportaient les marchandises depuis les rives du Niger jusqu’aux cités marchandes plus au Nord. Aujourd’hui la tribu va d’oasis en oasis à la recherche des pâturages pour le
troupeau. Rachid aime connaître l’histoire de son peuple, souvent quand le campement s’endort, quand le chacal au loin pousse son cri, il va trouver Ali, l’ancêtre. Assis sur le tapis, dans
le coin de la khaïma, il écoute. Le vieil homme, appuyé sur les coussins parle d’une voix monocorde, il dit les méharées d’autrefois. Il dit les razzias lors de la grande révolte contre le
colonisateur, il dit le commerce des esclaves. Il dit son angoisse devant le progrès, sa peur de voir disparaître les traditions qui depuis des lunes et des lunes régissent la vie du peuple
Touareg.
Rachid sait tout cela. Ce soir il raconte à Ali son aventure du jour. Le vent d’est qui détruit tout sur son passage
soufflait depuis l’aube, enveloppé dans son burnous, Rachid était parti à la recherche de bois pour le brasero. Il avançait courbé, les rafales soulevaient la poussière et devant la tempête
qui enflait il trouva refuge dans une grotte pour se reposer quelques instants. Là, observant les parois de son abri, il vit des signes. Allumant son briquet pour déchiffrer le message, il
eut la surprise de découvrir des dessins représentant des rhinocéros, un éléphant et d’autres animaux qu’il n’avait jamais
vus.
- Comment et pourquoi des hommes ont-ils pu dessiner dse bêtes qui vivent plus au sud au-delà des dunes?
- Tu me l'as souvent répété Ali: " Au sud s'étendent les contrées fertiles d'où provient notre mil alors qu'au nord ne règne que le désert et la
faim!"
Ali le regarda, hocha la tête, lui servit un verre de thé et garda le silence un long moment.
- C'est vrai je te l'ai dit mais il n'en a pas toujours été ainsi. Je vais te conter une histoire qui se passe au tout début des temps, une histoire que la
mémoire des hommes n'a pas retenue et c'est bien dommage.
Le désert n’a pas toujours existé, lors de la création du monde, ici aussi la terre était féconde, les hommes épandaient les semences et la pluie dispensait les arrosages nécessaires à
leurs germinations. Entre les rochers de nos montagnes jaillissaient les cascades, les animaux sauvages venaient s’y abreuver, les oiseaux chantaient. Les hommes ne connaissaient pas le
mensonge et cohabitaient sans heurt. Un jour pourtant, on ne sait pourquoi, l’un d’eux fit une toute petite menterie. Petite, toute petite mais c’était une tromperie. Le créateur faisant
glisser entre ses mains une poignée de sable, leur dit alors : vous voyez ces grains de sable, ils sont petits, tout petits, chaque fois que vous prononcerez un mensonge, je jetterai
un grain de sable sur vos terres.
Un grain, c’est sans importance, on ne le voit même pas !
Les hommes continuèrent de mentir, et voilà pourquoi, de mensonge en mensonge, petit à petit, le Sahara est devenu cette
immensité où rien ne pousse. On trouve cependant de ci de là, des lieux où, comme jadis, subsistent des palmiers et des jasmins qui embaument l’air, car, tous les hommes ne mentent
pas !
Rachid sortit dans la nuit étoilée, le sirocco s’était calmé, la voie lactée au-dessus de sa tête traçait un chemin dans la voute céleste.
Pensif, il rêvait aux temps lointains de la légende d’Ali, mais demain il faudrait repartir!