C’était il y a très longtemps,
bien avant que l'homme n’apparaisse sur terre.
En ce temps- là, les animaux s’étaient partagé le monde :
prairies pour les herbivores, savane pour les carnassiers,
la forêt pour les singes et les oiseaux .
Les points d'eau étaient très enviés, les bagarres y étaient fréquentes.
Certains étaient solitaires, d’autres vivaient en meute, d’autres en familles
et, là-bas, au-delà de la forêt, il y avait le monstre.
Personne ne l'avait vu, mais tout le monde en parlait.
Il était au dire de chacun, effrayant,
possédait une voix qui vous glaçait le sang.
La terreur régnait dans cette partie du monde !
Un jour cependant, une petite boule de poils, curieuse et inconsciente,
s'approcha de l'orée du bois.
Un bébé lion avait faussé compagnie à ses parents ……
Le lionceau regarde autour de lui: l'immensité des arbres
dont les feuilles se balançaient au rythme du vent pernicieux,
les cris des oiseaux sauvages, l'effraient,
il ne sait s'il doit rebrousser chemin
et retrouver sa famille
ou affronter le danger,
si danger il y a;
mais cette angoisse ne dure pas longtemps,
la peur, il ne connaît pas!
Avant de s'enfoncer dans les ténèbres de la futaie,
le lionceau se retourne,
il a cru entendre un murmure...
Haussant sa tête
où pointent les premiers poils de sa crinière,
il s’avance.
Il fait ce qui est interdit depuis des millénaires:
Il entre au royaume tabou,
il franchit la limite
ne mesurant pas encore l'énormité de son geste.
- Il est fou! Chuchotent les singes.
Il faut aller le chercher !
Ce lion ne sait pas ce qui l'attend là-bas.
Un jeune se dirige
vers la frontière,
un vieux l’arrête d'un coup de bâton sur le dos.
- Tu es encore plus fou que lui, gronda t il.
Que veux-tu faire?
Jouer aux héros?
- Mais, nous devons le sauver! réplique le petit.
- Ne parle pas si fort! Riposte l’ancien.
D'ailleurs, nous avons assez traîné dans les parages,
allons, rentrons chez nous avant de déclencher une nouvelle bagarre.
Nous devons partir,
c’est ce que nous avons de mieux à faire!
Bien malgré lui, le jeune singe suit l’ aîné…
Territoires, limites, frontières, danger, monstre...
L’animal rage, depuis sa naissance,
les adultes sans cesse lui répètent ces mots.
On n'en dit pas plus: interdiction formelle de quitter
le groupe!
Lui, il veut rejoindre le curieux et le sauver !
Le sauver de quoi?
Personne n’a vu le maître du royaume !
Deux jours déjà...
Qu'est-il devenu?
Sa famille ne s'inquiète-t-elle pas?
Il se tasse sur lui-même, abattu...
Le téméraire est affamé, épuisé : difficile de trouver une proie
quand on ne sait pas encore chasser.
Il ne connaît pas les lieux , il est loin de sa brousse…
Maman lionne ne viendra pas,
une antilope entre les dents pour satisfaire son appétit...
Son cœur se serre,
mais bien vite, il chasse cette idée:
ses frères et sœurs se moquent sans cesse de lui,
on le prend pour un peureux,
un lâche toujours blotti entre les pattes maternelles...
Il en a eu marre de ces sarcasmes, il va leur prouver qu'il n'est pas craintif.
Est- ce mal d'aimer si fortement sa mère et de s’accrocher à elle
tout le temps?
Est-ce plus agréable d’être poussé dans la grande rivière ?
Il se serait noyé si maman n'était pas intervenue pour le tirer de là...
Il leur prouverait qu'il pouvait être aussi fort que son père...
En attendant, il a faim. L'endroit est hostile.
Il n'a pas rencontré âme qui vive
depuis qu'il s'est aventuré sous les branchages.
Depuis combien de temps se trouve-t-il là?
Il a perdu toute notion de temps: il fait toujours noir ici.
Il n'aperçoit pas le soleil...
C'est le royaume de la nuit, disent les adultes.
"- Il ne faut jamais, jamais quitter la meute!
Personne ne revient vivant du royaume de la nuit..."
Le royaume de la nuit...
Il n'y a donc personne ici?
Un hurlement s’élève des entrailles de la terre...
Le bruit enfle, se propage, s’approche…
Des profondeurs du bois,
s'envolent des hiboux, des chouettes et autres oiseaux rapaces...
C'est comme un roulement de tonnerre à l'heure de l'orage,
même la montagne ne gronde pas de la sorte
quand elle se met en colère
et crache sa lave brûlante!
Le lionceau a peur, vraiment peur cette fois.
Il pleure, il appelle au secours,
immobile, incapable de faire le moindre pas, tétanisé par la frayeur.
Ce cri, tous les animaux l'ont entendu
C’est la panique.
Le monstre s'est réveillé...
Tous: oiseaux, serpents, hyènes, guépards, lions, singes...
Tous se blottissent dans leurs refuges.
Il ne faut pas sortir tant que la terre tremble,
Tant que le silence n’est pas revenu.
Et malheur à celui qui se trouve sur le chemin du monstre.
Le petit singe, ne parvient pas à arrêter
les tremblements de son corps,
- Qu’est devenu le lionceau ?
Ses larmes coulent.
Ah, si seulement l’ancêtre l'avait laissé le rejoindre !
Au péril de sa vie, il descend du baobab familial,
et détale comme une flèche vers la forêt...
Sourd aux cris et appels des siens
il poursuit sa course folle ...
A l'orée du bois, une lueur permet d'apercevoir
les animaux qui s'enfuient.
Le bruit effroyable, le bruit qui vous glace le sang continue.
Où est donc ce monstre ?
Où est donc le petit lion ?
Que peut-il faire pour le sauver ?
La lumière grandit, une odeur acre l'accompagne.
Et toujours ce grondement,
ce cri du monstre qu'on ne voit jamais
mais qu'on entend arriver !
Le lionceau est paralysé.
Ses yeux piquent.
Le singe lui aussi se frotte les yeux.
L’ennemi possède une arme inconnue !
- Viens ! Suis-moi !
Pas de réponse,
Pétrifié, le félin regarde :
Apparaît devant eux ... le maître des lieux,
la terreur des animaux, le seigneur,
celui dont on parle de génération en génération,
régnant depuis des siècles.
Rouges, orangées, des formes bizarres lèchent le sol
et avancent lentement mais sûrement vers eux :
un être extraordinaire à mille bras !
Sur son passage les arbres s’effondrent,
partout des craquements se font entendre,
tout disparaît !
Un dragon ? Mille dragons ?
Petit lion n’en croit pas ses yeux !
La chose change de forme en permanence !
Elle enfle, s’allonge, pour atteindre ses proies !
Tout autour de lui comme un feu d’artifice,
des brindilles rougeoyantes volent
et de nouvelles flammes participent au festin !
Effrayé mais subjugué, curieux,
il ne peut détacher son regard de cet incroyable spectacle.
Vite il faut raconter à maman !
Cette idée le sauve !
Son sauveur le voit partir comme une fusée,
il essaie de le suivre.
Fatigué par les jours sans nourriture,
petit lion ne peut courir longtemps,
il s’arrête, suffisamment loin du danger !
Le singe le rejoint, s’assoit sur son arrière train, et lui dit :
nous avons vu le monstre !
Nous avons gagné le monstre !
Encore tremblant, d’une voix un peu hésitante , il répond :
- Jamais plus je ne quitterai Maman !
Lentement il revient vers sa famille,
raconte son aventure,
ses frères le regardent comme un héros,
Maman se fâche, un peu, elle a eu tellement peur !
Il promet de ne jamais recommencer,
mais toujours il gardera en lui cette vision du monstre,
ce monstre INCENDIE qui
détruit tout sur son passage !