un conte inspiré par la région....
De l’autre côté de l’Anti Atlas s’étend la Hamada, plateau de pierres, de silex tranchants. Les dromadaires errent au milieu des épineux et de quelques pieds d’euphorbe. Au loin une tache verte,
des acacias, un puits d’eau saumâtre et des tentes couleur sable. C’est là que vit Mohamed, l’enfant du désert. Fils d’Ali et de Leila, petit fils d’Hassan, le chibani (l’ancien), il est le
dernier né de la tribu.
Autour de lui la vie s’organise : les filles doivent aller chercher l’eau au puits, Hassan, Ali et les autres hommes bâtissent le mur de cailloux pour l’enclos
des animaux. C’est aussi un mur de pierres sèches qui limitera le champ de terre arable. Les pluies d’automne, l’humidité de la nuit permettront la culture de plants de fèves et de blé.
Quand l’ombre des arbres s’allonge, quand la brise adoucit l’atmosphère, les chèvres qui s’éparpillent dans la nature s’approchent de l’abreuvoir : c’est
l’heure de la traite. Armé d’un bâton Mohamed par à la recherche des égarés. Il taquine les gerboises qui se cachent dans les creux des rochers. Les mouches volent autour de son visage et de ses
bras souillés de poussière.
Les fumées des braséros s’élèvent, les femmes cuisinent le repas du soir sur le tajine en terre cuite. Plus tard, rassemblés près du plat commun, les hommes d’un
côté, femmes et enfants de l’autre, ils trempent le pain dans la sauce. Puis auprès du feu où chantonne la bouilloire, ils préparent le thé. De temps en temps quelqu’un jette des brindilles sur
le foyer qui crépite et étincelle. Au ciel les étoiles s’allument, ils rejoignent leur natte et roulé dans un manteau ou une couverture, ils s’endorment. Seuls les aboiements des chiens sauvages,
les bêlements des agneaux viennent troubler le silence de la nuit. A l’odeur âcre de la fumée se mêlent les effluves de suif et d’urine venus du parc des animaux.
Le chergui, vent d’est chargé de sable, vient parfois déranger cette vie calme. Tous le redoutent : ils poussent bêtes et gens vers les abris. Tous courbent
l’échine et s’arment de patience.
Tous sauf Mohamed. Il n’a pas encore appris la résignation nécessaire. Il ne sait pas qu’on doit subir les caprices de la météo et que la révolte n’est d’aucune
utilité.
Ce matin un gros nuage rouge se profile au levant, c’est lui le vent du désert, celui qui chasse les libellules et fait bouger les dunes. Mohamed rejoint Hassan,
s’assied et écoute son grand père lui conter l’histoire de son peuple.
- Il faut que tu saches, il faut que tu te souviennes et qu’à ton tour, plus tard, tu transmettes
à tes enfants, à tes petits enfants…
Grand père est vieux, son visage a la couleur cuivrée des collines, il est brûlé par le soleil et ses cheveux sont blancs comme le lait du matin. Il a quitté son
chèche bleu qui entoure son crâne et lui donne une allure martiale comme il sied au chef de clan. Aujourd’hui l’enfant perçoit la gravité du moment. Hier soir une discussion a eu lieu dans le
coin des hommes. Taiëb, le grand frère, baissait la tête. Les voix gutturales des adultes s’élevaient dans la pénombre et Taiëb est allé dormir dans l’enclos en maugréant.
Des mots reviennent à la mémoire de Mohamed, des mots qu’il voudrait comprendre. Maman est triste, papa regarde au loin par les fentes de la khaïma et ce n’est pas
le vent qui les inquiète.
- Dis grand père, c’est quoi la tradition ?
- La tradition, mon fils, ce sont les règles de notre vie celles qu’on doit respecter comme avant
nous nos ancêtres, comme ils nous l’ont appris.
- Dis grand père, l’homme qui est venu dans sa voiture bruyante, l’homme que Taiëb appelle Nour et qui est son
ami, il la respecte la tradition ?
- Oui, il la connait, mais lui il vit à la ville et…
- Grand père, il nous apporté de l’huile, la farine, les bidons d’eau pour le thé et même du pain gonflé comme
un ballon.
- C’est un marchand, il manipule l’argent, il n’est pas de notre famille.
- Taiëb dit qu’il veut le suivre !
- Ton frère, Mohamed, croit qu’il sera plus heureux là-bas. Il ne sait pas qu’il lui faudra aussi travailler
et surtout qu’il lui faudra être à l’heure. Là-bas on mesure le temps, on lui court après…
Le jour suivant, alors que le coq salue l’aurore, Mohamed est éveillé par un vrombissement. Il se faufile à l’extérieur
et en se frottant les yeux il découvre une trainée de poussière qui disparaît à l’horizon.
Taiëb a suivi Nour, il a quitté le campement. Au pied de la colline, sur le plateau caillouteux, personne ne prononce son nom. La vie continue, rythmée par les
travaux et par la marche du soleil. En gardant les chèvres, en fendant l’air avec son bâton pour faire fuir les mouches, assis sur une pierre, Mohamed feuillette une revue glissée dans les
provisions apportées par Nour. Des images, des signes, tout cela doit signifier quelque chose ? Un soir il s’approche d’Hassan puis d’Ali :
- Non, ils ne savent pas. « Lire les signes, savoir élever les agneaux est plus important
pour nous que savoir lire. »
Des lunes et des lunes plus tard, Taiëb vint leur rendre visite .Il raconta sa vie, l’eau qui coule du robinet, la télévision, l’ampoule qui éclaire…
Il dit à Mohamed :
- Grand père est âgé, il ne sait pas tout !
Puis il repartit vers sa nouvelle vie. D’abord incrédule puis déçu et triste Mohamed réalise que les anciens n’ont pas la connaissance de toutes les choses.
Est-ce possible ?
Il se promet d’aller étudier, d’aller à l’école et de revenir apprendre aux enfants de campements en campements.
Concilier progrès et tradition est-ce possible ?
Combattre l’illettrisme est-ce possible ?